J.O. 286 du 11 décembre 2003       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 21090

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 25 novembre 2003 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2003-485 DC


NOR : CSCL0306974X




LOI MODIFIANT LA LOI N° 52-893 DU 25 JUILLET 1952

RELATIVE AU DROIT D'ASILE


Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi modifiant la loi no 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile telle qu'adoptée par le Parlement.

A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs et moyens suivants à l'encontre, en particulier, des articles 1er, 2, 4, 5, 6 et 10.


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A titre liminaire, il importe de rappeler le caractère fondamental du droit d'asile dans notre pays. Ce droit est mis en oeuvre par la loi et les conventions internationales introduites en droit interne avec l'autorité prévue à l'article 55 de la Constitution (décision no 86-216 DC du 3 septembre 1986). D'où l'importance de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 qui jusqu'en 1993 a été le seul texte à mettre en oeuvre dans notre pays le droit constitutionnel à l'asile et qui en reste le pivot. Consacrant un droit de l'individu, cette convention repose sur un principe fondamental, celui de l'examen individuel de chaque demande : le réfugié est une « personne » qui a fui son pays d'origine pour l'un des cinq motifs prévus à l'article 1er de la convention.

Ce droit, vous l'avez consacré avec force dans votre décision du 13 août 1993 en considérant que le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958 dispose dans son quatrième alinéa : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ; que si certaines garanties attachées à ce droit ont été prévues par des conventions internationales introduites en droit interne, il incombe au législateur d'assurer en toutes circonstances l'ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle ; que s'agissant d'un droit fondamental dont la reconnaissance détermine l'exercice par les personnes concernées des libertés et droits reconnus de façon générale aux étrangers résidant sur le territoire par la Constitution, la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » (décision no 93-325 DC du 13 août 1993).

L'alinéa second de l'article 53-1 de la Constitution rappelant que les autorités de la République ont toujours le droit de donner l'asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif renforce cette logique, qui découle du Préambule de la Constitution, de garanties des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le Conseil constitutionnel s'est donc montré particulièrement protecteur à l'égard de celui ou celle qui exerce personnellement son droit constitutionnel de solliciter l'asile. La volonté de lutter contre les « fraudeurs » et contre les filières organisées, pour nécessaire qu'elle soit, ne peut, et ne doit, pas conduire à remettre en cause ce corpus si important. Qu'en particulier, on ne saurait faire dépendre la législation sur l'asile de celle relative au droit à l'entrée et au séjour. Que, par ailleurs, la politique d'harmonisation européenne ne peut servir de fondement à une remise en cause de ce droit constitutionnel dès lors, d'une part, que les directives adoptées ou celles en cours d'élaboration ne fixent que des « normes minimales » et que surtout, d'autre part, l'article 63 du traité d'Amsterdam énonce que les mesures à prendre dans ce cadre, en vertu d'une délégation conditionnelle des Etats membres, doivent être « conformes à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au Protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ainsi qu'aux autres traités pertinents ». Qu'en vertu du second alinéa de l'article 88-2 de la Constitution, les transferts de compétences nécessaires à la détermination des règles relatives à la liberté de circulation des personnes sont autorisées selon les modalités prévues par cet article 63 du traité européen (ancien article 73 K), lequel fait donc du respect de la convention du 28 juillet 1951 une condition de validité constitutionnelle des mesures à adopter en matière d'asile.

Il s'ensuit que le législateur est doublement tenu par le Préambule de 1946 et par les conventions internationales applicables à l'asile. Or, ni le concept incertain d'asile interne, ni la notion floue de liste de pays d'origine sûrs, ni les restrictions apportées aux droits de la défense et aux garanties essentielles attachées au droit d'asile, ne satisfont ce droit fondamental dont la France porte le flambeau depuis 1791.


I. - Sur l'article 1er de la loi


Cet article tend à réécrire l'article 2 de la loi no 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile et, notamment, à redéfinir les compétences de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (ci-après : OFPRA). En outre, il consacre la protection par des organisations indéterminées et reconnaît la notion nouvelle et incertaine d'asile interne.

I-1. Sur le paragraphe II de l'article 1er :

La rédaction proposée par cet article pour le paragraphe II nouveau de l'article 2 de la loi de 1952 précise que les demandes d'asile sont examinées par l'office et que le demandeur est convoqué à une audition sauf dans certains cas. Parmi les cas qui justifient une dispense de l'examen individuel de la demande, est prévu, au b de ce paragraphe II, celui où le demandeur d'asile a la nationalité d'un pays pour lequel ont été mises en oeuvre les stipulations du 5 du C de l'article 1er de la convention de Genève susmentionnées.

Or, cette disposition méconnaît une garantie essentielle de nature à rendre plus effectif le droit d'asile (i). Ce faisant, elle viole, d'une part, le principe de l'effet cliquet que vous avez pris soin de rappeller (décision du 13 août 1993, précitée) et, d'autre part, le principe d'égalité devant la loi (ii).

(i) Que parmi ces garanties essentielles figure celle de l'examen individuel de toute demande d'asile. Qu'en prévoyant le mécanisme critiqué, le législateur a privé certains demandeurs d'asile de cette garantie.

Ce n'est pas le 5° du C de l'article 1er de la Convention de Genève qui permet de fonder une quelconque exception à ce principe. Bien au contraire !

En premier lieu, l'article 1er de la convention prévoyant cinq motifs différents d'admission au statut de réfugié, le changement de circonstances dans le pays d'origine (tel le renversement d'un régime autoritaire qui peut faire disparaître les craintes de persécution en raison des opinions politiques) ne fait pas pour autant disparaître les menaces de persécution pour des raisons tenant à l'appartenance à une minorité ethnique ou religieuse.

En second lieu, le deuxième paragraphe de ce 5° souligne que, toutefois, « ces dispositions ne s'appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures ».

Nonobstant le fait que la convention est susceptible de ne plus s'appliquer dans telle ou telle hypothèse, le réfugié se voit reconnaître la faculté « d'invoquer » certains éléments concrets qui maintienne son droit à la protection internationale. Il s'en évince nécessairement le droit de se faire entendre et d'apporter un témoignage oral, essentiel pour convaincre du bien-fondé de la demande, sauf à ce que ce « droit d'invoquer » soit vidé de sa substance.

C'est dire que chaque cas doit faire l'objet d'un examen individuel afin d'apprécier l'intégralité des circonstances propres à justifier la demande d'asile auprès du pays d'accueil. Il n'est qu'à prendre l'exemple actuel des personnes appartenant à la communauté des Roms qui, théoriquement, ne subissent plus de persécutions dans les anciens Etats de l'Europe de l'Est. Pourtant, et nul ne l'ignore, leur situation demeure soumise à des pressions morales, politiques et physiques qui justifient des demandes d'asile. C'est ce genre de situation que le 5° pris en ses deux alinéas envisage.

En privant certaines personnes de l'une de ces garanties que comporte ce droit à un examen individuel de leur dossier, le législateur a violé le droit d'asile consacré par la Constitution.

(ii) En tout état de cause, en appliquant des règles de procédures différentes à des personnes qui demandent le bénéfice du même droit, la disposition critiquée viole manifestement le principe d'égalité devant la loi.

Au regard de l'objet de la loi, rien ne vient justifier une distinction quant au régime procédural applicable aux demandeurs de l'asile conventionnel. Il importe de rappeler, à cet instant, que l'OFPRA a pour mission, aux termes mêmes de la présente loi, d'appliquer les garanties fondamentales offertes par le droit national, l'exécution des conventions, accords ou arrangements internationaux intéressant la protection des réfugiés en France à tous les demandeurs d'asile indistinctement. Priver d'audition un sous-ensemble des demandeurs de l'asile conventionnel n'est en rien justifié. Cette suppression d'une garantie est d'autant moins justifiée que la nouvelle loi oblige l'OFPRA à examiner d'office si le demandeur d'asile conventionnel, qui reste la première forme d'asile à examiner et à attribuer, ne peut pas bénéficier subsidiairement de l'asile constitutionnel ou de la protection subsidiaire. Il pourrait donc survenir qu'un demandeur d'asile conventionnel arrivant d'un pays à l'égard duquel a été mis en oeuvre l'article 1er (C, 5°) précité soit privé d'audition et voie ses droits aux autres formes d'asile examinés sans audition, alors qu'un demandeur ayant sollicité directement l'asile constitutionnel bénéficierait de cette procédure. Le même statut étant au bout de ces demandes. Cette inégalité de traitement ne peut trouver de justification rationnelle et objective dans aucune considération.

Il s'ensuit qu'au regard du but de la loi, rien ne permet de justifier que certaines personnes ne bénéficient pas du droit de voir leur dossier examiné suivant une procédure complète.

Ce serait vainement que le Gouvernement tenterait d'opposer une quelconque justification tirée de l'objectif de maintien de l'ordre public ou d'une quelconque nécessité de gérer les flux et les stocks de demandes. Ces arguties éventuelles ne résisteraient pas à la confrontation avec le droit d'asile tel qu'éclairé par la convention de Genève à laquelle la loi renvoie.

De tous ces chefs, la censure est encourue.

I-2. Sur le paragraphe III de l'article 1er :

Ce paragraphe range parmi les autorités susceptibles d'offrir une protection justifiant que ne soit pas reconnue la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, outre les autorités de l'Etat, les « organisations internationales et régionales ».

Par ailleurs, ce paragraphe III de l'article 1er prévoit que l'OFPRA peut rejeter une demande d'asile à une personne qui « aurait » accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine si elle n'a aucune raison de craindre d'y être persécutée ou exposée à une atteinte grave. Suivent des précautions rédactionnelles que le Gouvernement a cru utile de noter pour tenter d'échapper à votre censure. Il s'agit là de la notion d'asile interne.

Ces dispositions, combinées ou non, privent de garanties essentielles et fondamentales le droit d'asile tel que consacré par le Préambule de 1946 éclairé par la Convention de Genève de 1951. En introduisant dans notre droit la notion d'asile interne, la loi critiquée organise un affaiblissement radical de la notion d'asile.

Aux termes du Préambule de 1946 : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République. » Quant à la Convention de Genève, elle précise dans son article 1er (A, 2) que la qualité de réfugiée est accordée à la personne craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve « hors du pays dont elle a la nationalité » et « qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Une telle notion est radicalement contraire à notre tradition nationale du droit d'asile comme aux règles fondamentales fixées par la Convention de Genève qui consacre la protection par un pays tiers.

Il y a donc un paradoxe inconstitutionnellement insurmontable à considérer, dans un même mouvement, qu'une personne risque effectivement d'être persécutée dans son pays d'origine et qu'existe une alternative de séjour dans ce même pays où sa vie, voire celle des membres de sa famille, est pourtant toujours en danger.

Ce mécanisme méconnaît ainsi la logique fondamentale du droit d'asile constitutionnel qui fait obligation au législateur d'assurer en toute circonstance l'ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997).

Il méconnaît aussi l'effet cliquet qui s'impose également lorsque le législateur procède à une transposition de projet de directive européenne par anticipation. La base juridique de cette notion d'asile interne se trouve dans un projet de directive non encore approuvé.

Certes, le ministre des affaires étrangères a confirmé devant l'Assemblée nationale qu'il « sera systématiquement procédé à une évaluation au cas par cas du caractère raisonnable du retour de la personne dans la partie du territoire concerné ». Cette précision est bien le moins dans la mesure où existe le principe de l'examen individuel des demandes d'asile. Mais elle est une clause de style qui ne purge en rien l'atteinte majeure qui est ainsi portée au droit d'asile

Si la rédaction retenue marque l'incertitude du législateur que l'accès éventuel à une partie du territoire est envisagé au conditionnel : « aurait accès », elle impose, ce qui est beaucoup plus grave, un examen de la possibilité qu'aurait le demandeur de retourner dans son pays au moment où l'OFPRA et la Commission des recours statuent (« et s'il est raisonnable d'estimer qu'elle peut rester dans cette partie du pays ») et, dans l'esprit du ministre, au moment où l'on envisage de renvoyer le demandeur chez lui sous le prétexte qu'il pourrait aujourd'hui y trouver une région d'accueil. Cette rédaction viole le Préambule et la Convention de Genève.

La position du HCR est claire à cet égard dès lors qu'il considère qu'une « personne ne se verra pas refuser le statut de réfugié pour la seule raison qu'elle aurait pu chercher refuge dans une autre partie du même pays si, compte tenu de toutes les circonstances, on ne pouvait raisonnablement attendre qu'elle agisse ainsi » (Guide des procédures et critères pour détermination du statut de réfugié, éd. 1992, § 91).

Cette notion d'asile interne alternatif ne repose sur aucun élément suffisamment certain pour que la protection due à la personne persécutée soit réellement assurée au sens des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

A titre d'exemple, on peut s'interroger sur la situation des Kurdes en Turquie... Et, en Irak, les régions sous le contrôle des forces armées américaines ne sont, peut-être, qu'en apparence des lieux où les Kurdes sont garantis contre les persécutions...

A supposer, pour les seuls besoins du raisonnement, qu'une telle appréciation concrète aboutisse à une conclusion positive sur la possibilité de retour dans le pays d'origine, dans une région encore sûre, il demeure qu'aucune garantie n'existe sur la suite des événements. Aucune certitude que la réalité apaisée d'un jour ne devienne une soudaine tragédie. Les pays en crise, ou bien ceux opprimant les minorités, se caractérisent par l'instabilité ou la duplicité des gouvernants. Ces derniers peuvent bien faire croire, mise en scène et médiatisation à l'appui, que la situation est calmée dans telle partie du territoire.

En réalité, il est plus qu'improbable de vouloir concilier les situations de tension, souvent extrêmes, qui caractérisent les pays où des personnes, parfois des communautés entières, sont persécutées, avec le concept, plus théorique que réaliste, de l'asile interne.

Cette limitation hasardeuse du droit d'asile pourrait donc aboutir à renvoyer dans son pays d'origine une personne qui ne veut pas y retourner en raison des persécutions qu'elle y a subies ou qu'elle craint d'y subir, au sens de la Convention de Genève.

Cette disposition doit, de surcroît, être lue en combinaison avec la circonstance que la présence d'organisations internationales ou régionales peut être considérée comme garantissant une protection suffisante.

Il suffit d'évoquer la tragédie de Srebenica pour mesurer à quel point il peut être illusoire de croire qu'une partie d'un territoire sous le contrôle d'une organisation internationale, même militarisée, offre la garantie à une personne ou à une communauté de n'être plus persécutée par tel ou tel groupe étatique ou non.

Il n'est pas indifférent de rappeler que le Conseil d'Etat n'a admis la notion d'agent de protection que pour une mission d'administration décidée de jure par le Conseil de sécurité des Nations unies agissant sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations unies. En revanche, des missions de maintien de la paix mises en place sur la base de l'article 6 de la Charte n'ont pas été prises en compte.

C'est dire que cette notion d'asile interne alternatif couplée avec la légitimation d'une protection qui serait assurée par des organisations aux pouvoirs limités viole les garanties essentielles du droit d'asile.

La censure est ainsi inévitable.

I-3. Sur le paragraphe IV de l'article 1er :

Ce paragraphe IV énumère les motifs de nature à justifier que la protection subsidiaire ne soit pas accordée à une personne demandeuse d'asile. Parmi ces raisons sérieuses, le b vise le fait pour la personne d'avoir commis un crime grave de droit commun et le d le fait que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.

Ces deux prescriptions violent les garanties essentielles du droit d'asile.

D'une part, et s'agissant de la notion de crime grave de droit commun, manquent les précisions indispensables pour que soient assurées les garanties essentielles du droit d'asile. S'agissant d'une clause d'exclusion d'un droit fondamental par renvoi à une définition de droit pénal, il importe qu'en écho au principe de légalité des délits et des peines cette référence soit dénuée de tout risque d'arbitraire.

Or, en l'espèce, on ignore la nature du crime en question, et si celui-ci doit avoir été commis sur le territoire du pays d'accueil ou sur le territoire du pays d'origine. Pas davantage n'est précisé si le crime dont il s'agit s'entend au sens du droit pénal français ou selon la définition donnée par une autre législation.

Cette absence de précision est d'autant moins admissible du point de vue du droit d'asile que, classiquement, cette notion est liée à la définition donnée par l'article 1er F b de la Convention de Genève de 1951 visant un crime grave de droit commun commis en dehors du pays d'accueil avant que la personne ait été admise comme réfugiée.

Une telle imprécision méconnaît donc les garanties légales essentielles de nature à mettre en oeuvre l'exigence constitutionnelle du droit d'asile.

D'autre part, concernant la clause relative à l'existence d'une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat, l'article critiqué méconnaît la nature du droit d'asile qui demeure, nonobstant la volonté de poursuivre les fraudeurs, un droit de protection de l'individu.

En tout état de cause, l'Etat français est en droit de refuser l'accès au territoire à tout étranger qui menacerait l'ordre public, comme le prévoit l'article 8 (3°) de la loi de 1952. Mais il ne peut pour ce même motif refuser l'accès à une protection subsidiaire, le droit à la protection contre les persécutions devant demeurer distinct du droit au séjour.

Qu'à cet égard la mission de l'OFPRA telle que définie par l'article 2 de la loi de 1951, modifiée par l'article 1er du présent texte, tend à l'application des garanties fondamentales offertes par le droit national et le droit conventionnel international. Qu'en conférant à cet établissement public une mission d'apprécier, pour le droit à une protection temporaire, les risques d'atteintes à l'ordre public, le législateur lui assigne une mission contraire à la protection de l'individu consubstantielle au droit d'asile.

Il faut rappeler que le Conseil d'Etat a pris soin de refuser toute confusion fonctionnelle entre la logique de protection liée au statut de réfugié et celle propre à l'ordre public (CE 21 mai 1997, Pham, Rec. p. 195). Cette dernière relève de la police administrative et donc des autorités compétentes de ce point de vue. Elle ne peut entrer dans le champ de la compétence d'un office dont l'autorité est strictement liée à l'application d'un droit constitutionnel fondamental et aux prescriptions tirées des conventions internationales applicables à la matière.

De ces chefs, la censure est inévitable.


II. - Sur les articles 2 et 5 de la loi


L'article 2 introduit la notion de liste des pays considérés comme des pays d'origine sûrs qu'il revient à l'OFPRA d'établir, alors que, d'autre part, l'article 5 fait de cette catégorie nouvelle un motif de refus du statut de réfugié (II-1). En outre, l'article 2 autorise la communication d'informations et de documents établissant la nationalité des demandeurs d'asile déboutés aux agents du ministère de l'intérieur (II-2).

Ces dispositifs aboutissent à violer gravement le droit d'asile et les garanties essentielles qui s'attachent à cette exigence constitutionnelle. Figure parmi ces garanties fondamentales le droit de voir son dossier examiné personnellement, c'est-à-dire qu'au-delà du principe du contradictoire il s'agit de s'assurer que chaque personne sollicitant la protection de notre pays peut bénéficier d'une appréciation intuitu personae de son cas.

II-1. La notion de liste de pays sûrs méconnaît les garanties essentielles attachées au droit d'asile, est entachée d'incompétence négative et viole l'article 21 de la Constitution.

Sur les garanties essentielles attachées au droit d'asile :

Votre jurisprudence précitée (décision du 13 août 1993) le souligne sans ambiguïté. La Convention de Genève le confirme certainement quand son article 3 dispose que « les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine ».

L'article 1er (A, 2) de la Convention de Genève, comme il a déjà été dit précédemment, donne une définition du réfugié qui s'attache à sa situation personnelle ainsi que le montre la part faite à sa volonté : « qui ne peut ou (...) ne veut » se réclamer de la nationalité de son pays d'origine.

En sorte que le fait de soumettre la demande de droit d'asile au filtre d'une liste préétablie dénature gravement les garanties essentielles concernées.

La contrariété avec la Convention de Genève est encore plus évidente si l'on veut bien se rappeler que le Préambule de celle-ci exprime le voeu que tous les Etats, reconnaissant le caractère social et humanitaire du problème des réfugiés, fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter que ce problème ne devienne une cause de tension entre Etats.

Le fait de dresser une liste des pays sûrs, et donc, par a contrario, des pays non sûrs, transforme le droit d'asile et la protection internationale des réfugiés en enjeu diplomatique évident qui jouera contre les personnes persécutées. Ces dernières risquent de devenir les otages de ballets interétatiques où le sort des femmes et des hommes sera une variable d'ajustement parmi d'autres et le prix à payer, parfois, pour des équilibres internationaux.

Comment ne pas redouter que la Tchétchénie soit un jour appelée à figurer sur cette liste des pays dits sûrs ?

En outre, l'OFPRA deviendra l'objet de pressions intolérables pour un établissement public dont l'indépendance demeure une des garanties essentielles du droit d'asile et dont la mission, rappelée précédemment, serait gravement dénaturée si cette compétence lui était attribuée.

La circonstance que cette notion de liste de pays sûrs soit la transposition par anticipation d'une proposition de directive européenne prise sur le fondement de l'article 63 du traité (ancien 73 K du traité d'Amsterdam) ne fait qu'aggraver ce vice grave.

(i) Bien au contraire dès lors que, d'une part, l'harmonisation des règles d'asile entre les Etats membres se fait sur la base de « normes minimales » qui préservent la faculté pour chaque Etat de donner une protection plus grande telle que déterminée selon les règles constitutionnelles applicables.

S'agissant de la France, il est acquis que notre droit constitutionnel prévoit des garanties essentielles qui vont au-delà d'une liste de pays sûrs et qui comprend, notamment, le droit à un examen individuel de chaque demande. Cette exigence d'examen individuel n'épuise cependant pas toute la question. Certes, elle constitue un minimum comme le Sénat l'a bien mesuré en l'introduisant par voie d'amendement. Mais bien au-delà, il est certain que l'exercice du droit d'asile doit être détaché de toute logique intergouvernementale ou interétatique. Or, l'établissement d'une liste de pays sûrs soumet le droit à la protection de l'individu à une lecture diplomatique et géostratégique de la situation faite aux individus et aux minorités opprimées. Cela va directement à l'encontre de l'économie générale de la Convention de Genève et de notre droit d'asile constitutionnellement garanti.

Dès lors, notre droit constitutionnel, par application de l'effet cliquet, empêche que les conditions de mise en oeuvre du droit d'asile soient subordonnées à une appréciation interétatique préalable. Or, l'établissement d'une telle liste préétablie conditionne nécessairement le droit individuel de bénéficier de la protection de l'asile. L'examen individuel étant, dans ces conditions, une garantie formelle retenue pour masquer l'affaiblissement du droit d'asile.

(ii) D'autre part, il est acquis que l'article 63 du traité (ancien article 73 K) dispose que le Conseil statuant conformément à la procédure visée à l'article 73 O arrête, dans les cinq ans qui suivent l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, des « mesures relatives à l'asile, conformes à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au Protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ainsi qu'aux autres traités pertinents dans les domaines suivants dont les normes minimales régissant l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres, normes minimales concernant les conditions que doivent remplir les ressortissants d'un pays tiers pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, normes minimales concernant la procédure d'octroi ou de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres.

Or, en France, la ratification du traité d'Amsterdam n'a été rendue possible qu'après révision constitutionnelle comme suite à votre décision du 31 décembre 1997 rendue sur le fondement de l'article 54 de la Constitution. Qu'en particulier, vous avez considéré qu'au terme de la période transitoire, le Conseil statue sur la proposition de la seule Commission, les Etats membres perdant ainsi leur pouvoir d'initiative, que surtout, sur simple décision du Conseil prise à l'unanimité, l'ensemble des mesures intervenant dans les domaines de l'asile pourront être prises à la majorité qualifiée selon la procédure de codécision prévue par l'article 189 B du traité, « qu'un tel passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée et à la procédure de codécision ne nécessitera, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale, et ne pourra ainsi pas faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 ou de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution » (décision no 97-394 DC du 31 décembre 1997, considérant 24).

C'est pour ce motif qu'a été introduit un second alinéa à l'article 88-2 de la Constitution aux termes duquel « sous la même réserve et selon les modalités prévues par le traité instituant la Communauté européenne, dans sa rédaction résultant du traité signé le 2 octobre 1997, peuvent être consentis les transferts de compétences nécessaires à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés ».

Il s'évince de cet article que la France n'a consenti aux transferts de compétences nécessaires à la politique de l'asile, laquelle est de nature à affecter la souveraineté nationale, que pour mettre en oeuvre le traité dans sa rédaction du 2 octobre 1997. Que, pour l'article 63 dudit traité (ancien 73 K), les mesures prises en matière d'asile doivent, d'une part, être conformes à la Convention de Genève et, d'autre part, constituent des normes minimales. C'est dire que le législateur national doit respecter la Convention de Genève et, en tout état de cause, a conservé la compétence de prendre des dispositions qui assurent une plus grande protection aux demandeurs d'asile dès lors que ses normes constitutionnelles le prévoient. C'est bien le cas de la France.

Il vous revient de veiller à ce que la conformité de la loi à la disposition constitutionnelle visant le traité ne viole pas les dispositions conventionnelles auxquelles le constituant a fait expressément référence dans le corps de la Constitution (décision no 98-400 DC du 20 mai 1998, considérant 4).

Il s'ensuit que, constitutionnellement, le législateur français ne peut, désormais, prendre de mesure qui soit contraire à la Convention de Genève, et ne peut pas davantage renoncer par anticipation à prendre des mesures qui vont au-delà des normes minimales susceptibles d'être adoptées par l'Union européenne dès lors que ces mesures auraient pour effet de priver le droit d'asile des garanties essentielles que commande cette exigence constitutionnelle.

Or, comme on l'a vu, cette notion de liste de pays sûrs méconnaît, à l'instar de la notion d'asile interne, la Convention de Genève, prise en ses articles 1er et 3, et prive d'une garantie essentielle le droit d'asile.

Il est, d'ailleurs, loin d'être acquis que cette proposition de directive soit en l'état considérée comme conforme au traité d'Amsterdam. Si la question venait à être posée à la Cour de justice des Communautés européennes, la solution serait certainement la censure d'une disposition violant la Convention de Genève que l'Union européenne doit impérativement respecter en la matière.

La transposition par anticipation de cette mesure est donc constitutionnellement impossible.

Le droit d'asile est d'autant plus méconnu que, comme vous l'avez relevé dans votre décision du 31 décembre 1997, la décision d'arrêter au niveau de l'Union européenne une liste de ces pays sûrs échappera au contrôle que vous exercez. Si d'aventure cette liste était si large qu'elle méconnaisse la portée du droit d'asile, il n'y aurait plus de possibilité de garantir cette exigence constitutionnelle. Par exemple, il est déjà prévu que cette liste s'appliquera sans discussion et sans examen particulier à tous les nouveaux Etats membres de l'Union européenne. La liste pourra donc être étendue, sans aucune limite, sans que la France puisse s'y opposer. Cette lacune grave rend le texte non conforme à la Constitution et vous prive de toute possibilité de contrôler une éventuelle dénaturation de ce droit constitutionnel.

La révision du 25 janvier 1999 n'a pas pu avoir pour effet une telle dépossession de souveraineté nationale ni une renonciation par anticipation à une exigence constitutionnelle fondamentale.

Dans ces conditions, les dispositions prévoyant l'établissement d'une liste des pays dits sûrs et les effets juridiques y étant attachés telles qu'énoncées par les articles 2 et 5 ne peuvent qu'être censurées.

(iii) Enfin, le choix de confier à l'OFPRA l'établissement de cette liste porte atteinte à l'indépendance des organes de détermination du statut, et notamment à celle de la Commission des recours. Or, cette indépendance constitue une des garanties essentielles attachées au droit d'asile.

L'office est chargé d'une mission de protection par l'article 2 de la loi. L'impartialité de l'OFPRA et de la Commission des recours, au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ne peut être assurée si l'OFPRA établit la liste des pays dits sûrs opposables à la Commission des recours et doit ensuite statuer sur le fond.

Les droits de la défense sont ici méconnus.

D'autant plus que la loi réforme la Commission des recours sans la séparer de l'OFPRA, qui continue de gérer son budget alors que le conseil d'administration de cet établissement public délibère sur les modalités de mise en oeuvre des dispositions relatives à l'octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Par conséquent, la détermination de la liste de pays d'origine sûrs par l'OFPRA aura un effet sur l'impartialité de la commission. L'opposabilité de cette liste à la commission place cette juridiction spécialisée dans une situation de dépendance constitutionnellement inacceptable.

En confiant l'établissement de cette liste à l'OFPRA sans garantir l'indépendance de la Commission des recours, la loi viole le principe d'impartialité de la juridiction qui est placée sous un tel contrôle et a privé d'une garantie essentielle les exigences constitutionnelles qu'impose le droit d'asile.

Sur l'incompétence négative :

En supposant, pour les seuls besoins du raisonnement, que cette liste des pays sûrs soit en tant que telle conforme aux exigences constitutionnelles, il reste que, s'agissant d'une garantie essentielle du droit d'asile, elle ne peut être déterminée que par le législateur.

Pourtant, c'est l'OFPRA, établissement public, qui se voit confier la compétence d'établir une liste dont les conséquences juridiques sont si importantes et conditionnent éventuellement le refus de l'asile.

Certes, on peut comprendre que le Gouvernement souhaite détourner vers un établissement public la pression que la constitution de cette liste entraînera. Mais, pourtant, c'est au législateur qu'il revient de déterminer les conditions essentielles du droit d'asile.

La loi est donc entachée d'incompétence négative.

D'autant plus que l'OFPRA n'a pas de pouvoir réglementaire qui lui permette, en droit, de dresser une liste à laquelle sont attachées autant de conséquences juridiques essentielles à la mise en oeuvre d'une exigence constitutionnelle.

Sur la violation de l'article 21 de la Constitution :

En tout état de cause, en confiant à l'OFPRA le soin d'établir cette liste, l'article 2 critiqué méconnaît l'article 21 de la Constitution qui confie au Premier ministre le pouvoir réglementaire.

Or, l'OFPRA, établissement public national, n'a pas de pouvoir réglementaire et ne peut empiéter sur la compétence qui incombe au Premier ministre en vertu de l'article 21 de la Constitution.

La qualité d'établissement public national ne peut suffire pour justifier que lui soit reconnue une compétence tendant à déterminer les conditions d'exercice d'un droit constitutionnel.

De tous ces chefs, la censure est inévitable.

Sur le principe d'égalité et les droits de la défense, et le droit de voir son dossier examiné individuellement :

Il est prévu au dernier alinéa de l'article 5 de la loi critiquée que dans les cas où l'admission au séjour a été refusée pour un motif tenant, notamment, à l'application de la liste des pays dits sûrs, l'étranger qui souhaite bénéficier de l'asile peut saisir l'office de sa demande.

Cette disposition est a priori favorable.

En réalité, elle met en lumière une violation du principe d'égalité devant la loi et des droits de la défense dont doit bénéficier tout demandeur d'asile.

En effet, il résulte du paragraphe II de l'article 2 de la loi de 1952 dans sa rédaction proposée par l'article 1er de la loi critiquée que le demandeur est convoqué à une audition devant l'OFPRA et peut présenter les éléments utiles à sa demande.

Par définition, le demandeur qui n'a pas été autorisé à entrer sur le territoire pourra certes présenter une demande d'asile. Il ne pourra, en revanche, faire valoir ses arguments devant l'OFPRA ni répondre à une quelconque convocation.

Il n'y a pourtant au regard de l'objet de la loi aucune raison objective et rationnelle pour que le demandeur d'asile dont le pays d'origine figure sur la liste des pays dits sûrs soit ainsi privé d'une garantie essentielle au droit d'asile.

En écartant certains demandeurs de ce droit à l'examen individuel de leur dossier, la loi viole le principe d'égalité, les droits de la défense et prive d'une garantie essentielle un droit constitutionnellement protégé.

Cette privation est d'autant plus grave qu'elle s'accompagne d'une procédure « prioritaire » dont ni le contenu ni la durée ne sont précisés. Une telle carence dans la loi entache celle-ci à tout le moins d'une incompétence négative et, certainement, prive d'une garantie essentielle, dont les droits de la défense, le droit d'asile. L'effet cliquet est méconnu.

La censure est certaine.

II-2. Sur la communication de documents aux agents du ministère de l'intérieur :

L'article 2 de la loi critiquée donne pouvoir au directeur général de l'OFPRA de communiquer, sur demande du ministre de l'intérieur, les documents et informations relatives à la nationalité du demandeur d'asile débouté.

Cette disposition est contraire au quatrième alinéa du Préambule de 1946 et priverait d'une garantie légale cette exigence constitutionnelle. Vous avez déjà censuré une prescription fort proche (décision du 22 avril 1997 précitée) en considérant que « la confidentialité des éléments d'information détenus par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides relatifs à la personne sollicitant en France la qualité de réfugié est une garantie essentielle du droit d'asile, principe de valeur constitutionnelle qui implique notamment que le demandeur du statut bénéficie d'une protection particulière ».

La faculté donnée au directeur de l'OFPRA, désormais nommé sur décision conjointe du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur, de communiquer de telles informations, y compris certains documents, fait directement échec aux principes que vous avez ainsi énoncés.

Il faut souligner que certains demandeurs d'asile entrent en France sous une fausse identité et demandent le statut sous cette identité pour préserver leur sécurité, et notamment pour échapper aux polices et milices secrètes. Certains bénéficient à cet égard de complicités dans leur pays d'origine et la communication, ou à tout le moins le risque de communication, de ces documents, ou même de leur copie, pourrait mettre en danger ces réseaux d'aide à l'asile, résistants internes aux régimes d'oppression, véritables combattants de la liberté.

Outre ces soutiens, une telle divulgation d'informations et de documents sensibles pourrait valoir des ennuis ou faire courir des dangers graves à la famille et aux proches du demandeur débouté.

Les ferments d'une soumission de l'OFPRA au ministère de l'intérieur ne peuvent qu'être redoutés. Risque dont le directeur de l'OFPRA a commencé à se faire l'écho avant même l'entrée en vigueur de la loi.

Il importe d'ajouter que les conditions d'habilitation des agents à qui ces documents et informations sont susceptibles d'être communiqués sont renvoyées à un texte réglementaire comme le prévoit l'article 10 de la loi critiquée.

Une incompétence négative s'en infère nécessairement dès lors que le rôle des agents du ministère de l'intérieur au regard de l'exercice du droit d'asile ne peut être défini que dans la loi, sauf à priver d'une garantie essentielle cette exigence constitutionnelle.

La censure ne pourra qu'intervenir.


III. - Sur l'article 4 de la loi


Cet article organise une procédure de tri des demandes d'asile selon laquelle le président de la Commission de recours des réfugiés ou les présidents de section peuvent statuer sur les demandes qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision du directeur général de l'office.

Un tel mécanisme inspiré du contentieux administratif classique ne peut être admis dès lors qu'il s'agit de statuer au fond sur le bénéfice d'un droit fondamental et prive d'une garantie essentielle l'exercice du droit d'asile.

La demande d'asile bénéficie toujours, et les praticiens de ce droit le savent tous, de l'oralité des débats. Si, dans le cadre du contentieux classique, un tri peut avoir lieu alors qu'il s'agit de la contestation d'un permis de construire ou d'une autorisation administrative de droit commun, on peine à concevoir une telle procédure expéditive dès lors qu'il s'agit du sort d'une personne qui sollicite le bénéfice d'un droit constitutionnel alors que sa vie dépend peut-être de l'issue de la procédure.

Cette procédure expéditive est d'autant plus choquante qu'elle peut être jointe à celle qui, déjà, écarte le demandeur d'asile de l'accès à l'OFPRA dès lors que l'accès au territoire lui a été refusé (article 5 de la loi critiquée).

L'atteinte au droit d'asile est d'autant plus grave que les conditions précises de cette procédure dérogatoire relèvent d'un décret ainsi que le prévoit l'article 10 (7°) du texte. Il s'ensuit, en tout état de cause, une incompétence négative entachant l'article contesté.

De ces chefs, la censure est inévitable.


IV. - Sur l'article 6 de la loi


Cet article fixe le principe de la procédure prioritaire d'examen des demandes d'asile en le subordonnant à la décision du préfet sur l'admission au séjour.

Il s'ensuit que cette soumission des conditions d'exercice du droit d'asile aux règles de police des étrangers aboutit à priver de garanties essentielles l'exigence constitutionnelle consacrée par le Préambule de 1946.

En effet, cette procédure prioritaire dont il faut rappeler que les conditions précises sont renvoyées à un décret ultérieur est de nature à faire obstacle à un examen complet et satisfaisant de la demande d'asile.

Plus encore, il s'en évince que c'est la décision du préfet de refuser ou de retirer le document provisoire de séjour qui conditionne la nature de la procédure contradictoire, ou non, selon laquelle la demande de bénéfice d'un droit constitutionnellement garanti sera examinée ! C'est dire que ce droit dont vous avez rappelé le caractère fondamental devient subordonné au droit applicable à l'entrée et au séjour des étrangers et, du point de vue organique, passe sous l'impulsion de l'autorité de police. L'OFPRA voit donc sa compétence, y compris celle des conditions d'examen des demandes d'asile, dépendante du choix du préfet quant à l'accès au territoire.

Cette privation d'une garantie est, de surcroît, doublée d'une incompétence négative dès lors que les délais d'examen selon la procédure prioritaire relèvent d'un décret ainsi que le prévoit l'article 10 (12°). Or, les conditions procédurales attachées à l'exercice d'un droit constitutionnellement garanti relèvent du domaine de la loi. En renvoyant les conditions d'examen des demandes d'asile à un texte réglementaire, le législateur a entaché cette disposition d'une incompétence négative.


Combinée avec l'établissement d'une liste des pays dits sûrs, cette disposition fait du droit d'asile un droit secondaire privé des garanties essentielles que les principes constitutionnels exigent pourtant.

Les deux derniers alinéas de cet article 6 ne peuvent qu'être censurés.


V. - Sur l'article 10 de la loi


Cet article se borne à renvoyer à un décret en Conseil d'Etat diverses précisions utiles à la procédure d'examen des demandes individuelles d'asile.

Par conséquence des critiques émises sur les articles précédents, ces renvois à un texte réglementaire sont entachés d'incompétence négative dès lors qu'il s'agit dans les 5°, 6°, 7°, 8° et 12° de prescriptions propres à assurer des garanties essentielles du droit d'asile.

La censure sera donc encourue pour ces différents paragraphes.


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Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.

(Liste des signataires : voir décision no 2003-485 DC.)